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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

LES CONDITIONS DE PASSAGE D'UNE ŒUVRE DANS LE DOMAINE PUBLIC

En France, théoriquement, la durée légale du droit d'auteur se prolonge durant toute la vie de l'auteur et 70 ans après la mort de celui-ci. Ceci étant dit, comme il faut bien légiférer – en prenant soin de ne pas oublier les cas litigieux pouvant se présenter –, l'article L123 du Code de propriété intellectuelle stipule que toutes les œuvres sont concernés : écrits, photographies, audiovisuels, discours, musiques... jusqu'aux logiciels (brevets).


LE PASSAGE DANS LE DOMAINE PUBLIC D'UNE ŒUVRE EN FRANCE

Le 1ᵉʳ janvier 2016, un livre va tout particulièrement retenir l'attention des médias. Il s'agit de Mein Kampf (Mon Combat) d'Adolf Hitler. Bien avant la date fatidique de son entrée dans le domaine public, le livre aura eu le mérite de relancer le débat sur l'opportunité de rééditer des écrits tendancieux à même de déstabiliser nos sociétés. La même année, le Boléro de Maurice Ravel, une œuvre hautement populaire, aura droit également à un certain écho dans la presse au moment de son passage dans le domaine public, mais pour des raisons bien évidemment très différentes.

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En France, 70 ans après la mort de l’auteur, une œuvre, quel que soit son support, est considérée comme faisant partie du domaine public et peut se prévaloir d'être utilisée librement. Cette concession signifie que les artistes qui interprètent, enregistre ou reproduisent une œuvre – de même que sa diffusion via des médias, comme la radio –, n'ont plus l'obligation de verser les droits d’auteur aux héritiers.

Quelques chef-d’oeuvres du cinéma muet de Charlie Chaplin, comme Le Pèlerin (1923), appartiennent désormais au domaine public, au même titre que Le Prophète de Kahlil Gibran, les films de Louis Lumière, et de nombreux enregistrements de jazz, dont le fameux Charleston du pianiste James P. Johnson.

Cependant, ce « jeu » avec les dates n'est pas exempt de quelques aménagements dus à des circonstances particulières. Le Boléro de Ravel l'illustre idéalement. En effet, il s'est avéré nécessaire d'ajouter, aux 70 ans après la mort du compositeur, 8 ans et 120 jours de dédommagement dus à la Seconde Guerre mondiale et l'après-guerre. Cette « rallonge temporelle » s'explique par la temporisation de son exécution publique durant cette période de disette culturelle. De fait, son passage dans le domaine public a eu lieu en 2016 et non en 2007 ; l'œuvre ayant été publiée pour la première fois en 1937.

Ce remaniement des dates existe de même pour les auteurs morts en l'honneur de la patrie au cours des deux conflits mondiaux du 20ᵉ siècle, avec un délai de 30 ans supplémentaires, soit 100 ans. Cette réglementation possède ainsi des droits et des devoirs qui peuvent être modifiés, mais aussi détournées, comme avec les réseaux sociaux. Paradoxalement, la personne présente sur une photographie mise en ligne dispose à tout moment de son droit à l'image (droit de retrait), même si le cliché est entré, de fait, dans le domaine public.

Dans le cas où une œuvre est créée collectivement, elle devient libre de droit seulement quand les privilèges de chaque auteur sont épuisés. En attendant, les auteurs (et leurs héritiers) conservent une prérogative morale (celui-ci ne pouvant faire l'objet d'une renonciation, sauf sous certaines licences).

Concernant la musique, la règle des « 70 ans » s'applique non seulement aux compositeurs, mais aussi aux interprètes. De très nombreux enregistrements de musique classique entrent chaque année dans le domaine public et deviennent entièrement libres de droits d'auteur et de droits voisins (enregistrés et publiés il y a plus de 70 ans), et peuvent donc être librement copiés, distribués et téléchargés sans aucune restriction.


À L'INTENTION DES DÉTRACTEURS

On peut légitimement estimer que les droits d'auteur sont uniquement une convention qui permet à un créateur et à ses héritiers d'être protégés en revendiquant la paternité d'une œuvre et tout ce qui en découle. Or, toute idée, quelle qu'elle soit, ne peut être que le résultat d'un « instant créatif » et rien d'autre. En partant de ce constat incontournable, on saisit sans peine que la réglementation de la reproduction d'une création ait soulevé de nombreux débats publics enflammés et, que tôt ou tard, le droit d'auteur comme le copyright aient abouti au développement d'un compromis entre les parties prenantes, éditeurs et société civile compris.

Dans ce prolongement, rappelons par ailleurs que la propriété intellectuelle n'a pas toujours existé. Dans le domaine musical par exemple, avant le début du 18ᵉ siècle, la libre diffusion des œuvres était permise. Néanmoins, la privation de toute législation n'entraîne point l'absence de mécanismes de régulation, entrainant à sa suite des procès retentissants. Les imprimeurs seront les premiers à réagir, dès la Renaissance, en faisant entendre leur voix pour que des règles existent afin d'obtenir un monopole étatique concernant la publication de leurs ouvrages.


AILLEURS DANS LE MONDE

Dans les autres pays qui gèrent les droits de propriété intellectuelle à travers la planète, chaque État possède sa propre législation. Toutefois, les deux conditions Copyright basées sur les dates de publication et de création se partagent entre une durée de 50 ans – c'est le cas de l'Argentine, du Canada, de la Chine et d'une majorité de pays africain – et de 70 ans dans la plupart des États européens, mais également en Australie, au Brésil, en Russie et en Chine. Ces pays-là s'alignent sur la France à quelques nuances près.

Il n'existe pas de norme internationale, excepté la "Convention de Berne" qui vise à accorder un minimum de protection auprès de ses 191 États membres et la "Convention universelle sur le droit d'auteur" (Universal Copyright Convention) qui détient l'un des copyrights parmi les plus courts avec 25 ans après publication. Précisons par ailleurs que dans le cadre de l'Union européenne, quand une œuvre entre dans le domaine public, le droit moral qui s'y rattache reste perpétuel et impose notamment de respecter la paternité de l'auteur sur sa création via la citation de son nom et de sa qualité.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 05/2024)

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