DEAN MARTIN, LE CHARME ET LA CLASSE DES GRANDS
Dans le domaine de la chanson, par facilité ou par convention, la plupart des personnes rangent Dean Martin aux côtés de Frank Sinatra, Sammy Davis Jr ou de Nat King Cole, pour avoir emboîté leur pas dans un repertoire taillée pour les crooners. Or, sa carrière ne se limite pas à roucouler de tendres mélodies. S'il fallait résumer en chiffre sa carrière, nous dirions qu'au-delà des six cents chansons enregistrées, Dean Martin a incarné soixante rôles pour le cinéma et assuré vingt années de présence à la télévision !
© NBC Photo par Elmer Holloway (wikimedia) – Dean Martin posant en 1958.
Dean Martin savait tout faire ou presque : chanter, danser, animer, singer... C'était un homme de music-hall par excellence. Sur scène, il détenait l'élégance, la séduction et une voix de velours qui faisait chavirer le cœur des dames. Bref, la classe à l'américaine tout en décontraction. Quant au cinéma, il avait su s'élever jusqu'à la dernière marche, de celle qui côtoie les immenses stars. De son passage à l'écran, il nous laisse l'humour et la drôlerie avec Jerry Lewis, et à l'ombre de John Wayne ou de Montgomery Clift, la détermination d'un acteur dramatique désireux d'être pris au sérieux.
Son surnom de « King of Cool » ne doit rien au hasard. Sa famille, ses amis et la profession percevront généralement cette attitude comme étant une protection face aux imprévus. Ce comportement artistique n'était pas uniquement un rempart pour préserver sa vie privée, mais une attitude consciente qui se traduisait comme une mise à distance quasiment insaisissable, même pour les proches. Au fil du temps, l'image affichée sur scène de Dean Martin deviendra un voile opaque qui ne devait laisser transparaître que la drôlerie, le charme et l'amour de la vie, tandis qu'au cinéma, son image renverra celle d'un acteur dramatique, poignant et viril.
Pour lui, tout commence à Steubenville, une petite ville située dans l'Ohio. C'est là qu'il voit le jour le 7 juin 1917. Issues d'une famille originaire de Montesilvano, ses origines italiennes joueront un rôle capital dans la consolidation des attaches familiales, surtout auprès de son père, un coiffeur bon et serviable, qui soutiendra financièrement Dean quand il se lancera dans la chanson. Ne parlant que la langue maternelle à son entrée à l'école, comme d'autres enfants issus de l'immigration, il est confronté à quelques moqueries de la part de ses camarades. Toutefois, son enfance sera choyée et il accueillera l'existence avec l'insouciance des jeunes années.
À l'adolescence, il découvre la batterie, mais c'est en écoutant les disques de ses parents, constitués pour l'essentiel de mélodies italiennes, qu'il développe l'amour du chant. Son charme est déjà là, comme sa gentillesse. Désireux de s'émanciper du cocon familial et du milieu scolaire qui ne lui convient pas, Dean est confronté directement à la dureté du travail dans les mines. Alors qu'il n'a que 15 ans, il délaisse rapidement ce sombre univers pour se métamorphoser en croupier dans un bar clandestin, tout en se révélant comme un bon boxeur de poids welter. Cependant, le surnommé « Kid Crochet » ne sortira pas du ring physiquement indemne, et ce, malgré les 11 victoires sur 12 combats effectués. Nous sommes alors à la fin des années 1930 et Dean Martin part pour New York.
DEAN MARTIN : "VOLARE (Nel Blu Di Pinto Di Blu)"
LES PREMIÈRES EXPÉRIENCES ARTISTIQUES
Dans la ville tentaculaire, il partage un appartement avec Sonny King, qui espère tout comme lui, faire carrière dans la chanson. Parallèlement au job de croupier qu'il a trouvé, il tente ses premières expériences artistiques en se produisant avec des groupes locaux sous le nom de Dino Martini, puis dans les orchestres d'Ernie McKay et de Sammy Watkins.
C'est l'âge d'or des clubs de jazz et des dancings. Ces lieux de divertissement poussaient à cette époque comme des champignons et Dean avait pris pour habitude de se produire sur de petites scènes en chantant parfois A Cappella. Son style, hérité de Perry Como, le conduit immédiatement à interpréter des chansons suaves, façonnées suivant la tendance majeure du moment, le jazz swing. Personne ne doutait de son talent. Quand il saisissait le micro, tout le monde s'accordait pour saluer sa façon de vous envelopper en interprétant des chansons napolitaines.
En octobre 1941, il épouse Elizabeth "Betty" Anne McDonald à Cleveland. De cette union, qui s'achèvera en 1949, le couple aura quatre enfants. Entretemps, à l'automne 1943 et durant quatorze mois, Dean sera appelé sous les drapeaux pour combattre en Europe. Sa femme, cultivée, qui possédait l'éducation requise pour figurer parmi la bourgeoisie, lui fera don de toute son attention pour l'aider à se construire.
DEAN MARTIN ET LE CINÉMA
En 1957, Dean Martin envisage de poursuivre seul au cinéma, mais en incarnant des personnages plus « sérieux » que ceux avec Jerry. En outre, il estimait que l'arrivée du rock'n'roll avait terni son image de chanteur crooner, ce qui justifiait amplement son désir de poursuivre une carrière dans le septième art.
© Warner Bros. (wikimedia) – L'affiche de "Rio Bravo" (1959)
Si son premier film Ten Thousand Bedrooms (Dix mille chambre à coucher – 1957) est un échec, le suivant sera d'une autre tenant. The Young Lions (Le bal des maudits – 1958) est un film de guerre dans lequel Marlon Brando et Montgomery Clift partagent l'affiche avec lui. À ce moment-là, le public découvre une autre facette de Dean Martin, un artiste qu'il ne soupçonnait pas et que le film dramatique réalisé par Vincente Minnelli, Some Came Running (Comme un torrent – 1958), avec son ami Frank Sinatra, consolidera.
Dans sa carrière cinématographique, un film est à retenir : le western Rio Bravo, réalisé par Howard Hawks en 1959. Prisonnier de son addiction à l'alcool, il incarne à la perfection cet adjoint du shérif John Grant (John Wayne) qui cherche à s'acheter une conduite digne de l'étoile portée sur sa poitrine. Sa performance dans ce film est juste dans les moindres détails, à l'exemple de cette scène brève où il reverse un verre d'alcool dans la bouteille en donnant l'impression que toute la misère du monde s'abat sur ses épaules. Rio Bravo a notamment permis aux producteurs de Hollywood d'apprécier chez Dean Martin autre chose que le chanteur de charme.
À l'écran, ses divers personnages lui permettent de démontrer son immense potentiel d'acteur dramatique et de comédie, ce que confirmeront les films suivants : la comédie musicale Bells Are Ringing (Un numéro du tonnerre - 1960) avec Judy Holliday ; Who Was That Lady ? (Qui était donc cette dame – 1960), pour lequel il remportera une nomination aux Golden Globe, ou encore avec Toys in the Attic (Le tumulte – 1963) avec Geraldine Page ; la délicieuse comédie de Billy Wilder, Kiss Me, Stupid (Embrasse-moi, idiot – 1964) avec Kim Novak, ainsi que le film catastrophe Airport (1970) avec Burt Lancaster et Dana Wynter.
Signalons également ceux tournés en compagnie de Frank Sinatra : le policier Ocean's 11 (L'inconnu de Las Vegas – 1960) ; le western 4 for Texas (Quatre du Texas – 1963) et Sergeants 3 (Les trois sergents – 1962), entouré de ses copains du Rat Pack (1). N'oublions pas non plus les films avec Shirley MacLaine : Artists and Models (Artistes et modèle – 1955, à l'époque du duo avec Jerry Lewis) ; Some Came Running (Comme un torrent – 1958) ; All in a Night's Work (Il a suffi d'une nuit – 1961) et What a Way to Go ! (Madame Croque-maris – 1964).
Le dernier rôle de premier plan interprété par Dean Martin sera dans le film dramatique de 1974, Mr. Ricco, dans lequel il endosse la robe d'un avocat de la défense.
1. Le Rat Pack réunit quelques-unes des stars les plus populaires des années 1950/1960 autour de son meneur Frank Sinatra : Dean Martin, Sammy Davis Jr., Joey Bishop et Peter Lawford.
DEAN MARTIN : "EVERYBODY LOVES SOMEBODY"<
DEAN MARTIN ET LA CHANSON
Dean Martin est non seulement une immense star au cinéma, mais une vedette dans le domaine du disque. Sa fidélité aux chansons provenant de ses racines, comme In Napoli, Mambo Italiano, Return to Me ou encore That's amoreo et Volare de Domenico Modugno n'est plus à démontrer. Dean Martin ne savait pas déchiffrer la musique. Il chantait instinctivement depuis son enfance, ce qui ne l'a nullement empêché d'enregistrer plus de 100 albums et 600 chansons.
© Warner Bros. (picryl.com) – Pochette de l'album "Dino, Italian love songs" (1962)
Néanmoins, à la fin des années 1950, alors que sa place de crooner est fermement ancrée, son répertoire se heurtera directement à la vague soudaine du rock'n'roll. Pour relancer sa carrière, Frank Sinatra viendra souvent à la rescousse de son ami en faisant jouer ses relations pour lui trouver des lieux dans lesquels son chant pouvait être convenablement accueilli, notamment à Las Vegas.
En 1964, son morceau phare, Everybody Loves Somebody, parviendra à détrôner le A Hard Day's Night des Beatles de sa place de numéro un aux États-Unis. Ajoutons à cela The Door is Still Open to My Heart qui a atteint la sixième place la même année. Tout aussi étonnant sera l'influence qu'il a eu sur Elvis Presley, car les deux légendes avaient en commun d'apprécier la musique country. Du reste, Dean Martin enregistra plusieurs albums nettement marqués par ce courant musical : Dean "Tex" Martin Rides Again (1963), Houston (1965), Welcome to My World (1967) et Gentle on My Mind (1968). Son amour pour ce type de chansons ira même jusqu'à accueillir des artistes country dans son show télévisé.
Pendant près d'une décennie, Dean Martin produira jusqu'à quatre albums par an pour "Reprise Records". Signalons Reprise, Once in a While, réalisé en 1974. Par ailleurs, d'autres enregistrements ont été produits pour la "Warner Bros. Records". The Nashville Sessions est sorti en 1983 et remporta un succès indéniable aux États-Unis avec (I Think That I Just Wrote) My First Country Song, enregistré avec le guitariste Conway Twitty. Signalons aussi le single LA Is My Home / Drinking Champagne sorti en 1985.
DEAN MARTIN : "HANGIN'AROUND" (1983)
FIN DE L'HISTOIRE
En 1972, Dean demande le divorce de sa seconde épouse Jeanne et se marie avec Cathy Hawn qui a seulement 26 ans, alors que lui, les tempes grisonnantes, compte déjà 55 printemps. Personne dans son entourage ne connait les raisons exactes qui le conduisent à se séparer de Jeanne au bout de vingt-quatre ans de mariage. Est-ce la fameuse crise de la cinquantaine ou bien le choc des parents et du frère disparus en l'espace de quelques semaines qui en est la cause ? L'homme garde son chagrin, sa souffrance taiseuse. Ce mariage ne dure pas et le couple divorce trois ans plus tard. Martin finira par se réconcilier avec sa seconde épouse, bien qu'ils ne se soient jamais remariés.
En 1976, les frères ennemis que sont Dean et Jerry parviennent également à se réconcilier à l'occasion d'un Téléthon au profit de la "Muscular Dystrophy Association". Jerry en est le présentateur. Cette émission était l'occasion d'assister à la prestation d'invités prestigieux. Cette année-là, il y aura entre autres John Lennon, Ray Charles et les Jackson Five. Une fois de plus, l'ami Sinatra viendra à la rescousse et trouvera les mots pour que Dean accepte de se joindre à l'évènement caritatif (sans signaler la présence de Jerry). Cette rencontre improvisée, soudainement tenaillé par une émotion réciproque, fit son effet et déclencha des rires et des applaudissements. La glace venait d'être brisé. Bien plus tard, le décès du fils de Dean, Paul, survenu en mars 1987, contribuera à rapprocher les deux hommes. Entre Dean et Jerry, l'indifférence, voire l'hostilité, laissera place à une amitié retrouvée. Ils ne se produiront ensemble qu'une seule fois, en 1989, à l'occasion des 72 ans de Dean.
© Levan Ramishvili (flickr.com) – Dean Martin en compagnie de Bob Hope, John Wayne, Ronald reagan et Frank Sinatra (1970).
La mort de son fils Paul est la première cause de la dégradation de la santé de Dean Martin avant que les médecins ne diagnostiquent un cancer de la gorge en 1991. L'homme talentueux qui a consacré sa vie à la chanson et au cinéma était devenu en un rien de temps, un être brisé, dépressif. La maladie d'Alzheimer le rattrapera et il s'éteindra paisiblement le jour de Noël de l'année 1995. Dans les dernières années de sa vie, il avait adopté quelques habitudes, comme celle de réserver une table au restaurant "La Famiglia". Dans ce lieu qu'il aimait tout particulièrement, Dean conviait fréquemment sa seconde femme, Jeanne, qui était devenue entretemps d'un immense réconfort en plus de sa famille et de ses six enfants.
Par Elian Jougla (Cadence Info - 11/2023)
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