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MUSIQUE DE FILMS

JERRY FIELDING BIOGRAPHIE/PORTRAIT DU COMPOSITEUR

C’est durant les années 70 que le compositeur américain Jerry Fielding s’illustrera royalement dans la musique de films. Ses compositions aux écritures aussi abouties que complexes feront merveilles dans les films d’action, notamment dans les polars et les westerns.


JERRY FIELDING, UN TALENT QUI N’ATTEND PAS

Né Joshua Feldman en juin 1922, Fielding démontre dès l'enfance des aptitudes dans le domaine de la musique. À l’adolescence, encouragé à rejoindre l’orchestre du lycée pour occuper la place de tromboniste, il devient clarinettiste par défaut. Son professeur de musique décèle en lui un réel talent et le pousse à obtenir une bourse auprès du « Carnegie Institute for Instrumentalists ». Malheureusement, le jeune Jerry, qui ne jouit pas d'une bonne santé, subit les affres de la pollution industrielle de sa ville natale (Pittsburgh) au point d’être alité par intermittence durant près de deux ans. Le seul avantage à son malheur sera d’écouter la radio toute la journée et d’approfondir sa culture musicale. Pour Jerry, aucun doute, son avenir est scellé : il sera musicien et, avec un peu de chance, il jouera peut-être dans un big band, le genre d’orchestre qui fait alors fureur.

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Jerry Fielding (© www.filmmusicsociety.org)

À la fin de ses études musicales, il étudie l'arrangement avec Max Atkins au « Stanley Theatre » de Pittsburgh. Parmi les étudiants figurent deux futurs compositeurs qui s'illustreront, eux aussi, dans la musique de films : Henry Mancini et Billy May. Après seulement un an d’étude avec Arkins, Jerry Fielding démontre son talent d’arrangeur et obtient un poste d’orchestrateur auprès du guitariste de jazz Alvino Rey et des King Sisters. En 1947, il décide de s’installer à Los Angeles où il reçoit sa première mission de directeur musical pour une émission populaire de radio animée par Jack Paar.

À la sortie de la seconde guerre mondiale, plus exactement de 1950 à 1954, un nuage sombre s’abat aux États-Unis sous la forme d’une liste noire infâme érigée par le sénateur Joe McCarthy (une campagne visant à soupçonner tous ceux qui, de près ou de loin, ont de la « sympathie » envers le parti communiste). Fielding est soupçonné et devient soudainement inemployable. Le musicien n'est pas surpris, se décrivant à l'époque comme étant une "grande gueule"… Mais bizarrement, si Los Angeles cesse d'être un paradis ensoleillé, la liste noire ne semble pas s'étendre au-delà des limites de la métropole californienne et Fielding, en compagnie de beaucoup d'autres, trouvera finalement du travail dans les dancings et les hôtels de Las Vegas.

Pendant près de dix ans, le compositeur fait carrière dans la célèbre capitale du jeu. Bien qu'il ait l'occasion de travailler avec de grands artistes de passage, son rêve de conduire une carrière comme compositeur dans le 7e art parais irrémédiablement perdu. Or, sans qu’il en prenne vraiment conscience, de nombreux artistes sont prêts à lui venir en aide pour qu’il revienne s’installer à Los Angeles. L’actrice Betty Hutton sera la première main tendue en insistant auprès des producteurs pour qu’il soit son chef d'orchestre et arrangeur dans sa nouvelle émission de télévision. Dès lors, Jerry Fielding s'installe si bien dans cette tâche qu'il devient l'un des musiciens incontournables du petit écran où son travail d'écriture et d'arrangeur fait merveille.


UNE PREMIÈRE MUSIQUE DE FILM

En 1962, Jerry Fielding a déjà quarante ans. L’espoir de faire carrière dans le cinéma naît enfin quand il obtient une première commande : ‘Tempête à Washington’ (Advise and Cinsent), un film mis en scène par le vétéran Otto Preminger. Le réalisateur qui a déjà écouté quelques musiques de Jerry via son ami Dalton Trumbo - également victime de la liste noire - est tout prêt à lui donner sa chance. La BO, bien qu’elle soit atypique par rapport à ce que produira par la suite le compositeur, contient déjà en elle une grande puissance et singularité.

Si le travail pour la télévision ne manque pas, Jerry espère toujours créer une musique inestimable. En 1967, après avoir contribué à quelques musiques de films mineurs et des séries comme The Farmer's Daughter (1963) et Papa Shultz (Hogan's Heroes - 1965), Jerry rencontre le metteur en scène Sam Peckinpah à l’occasion d’une émission spéciale sur ABC intitulée Noon Wine. Les deux artistes qui sont avant tout des non-conformistes projettent l'idée d'une collaboration plus ambitieuse : la réalisation d'un western violent intitulé ‘La horde sauvage’ (The Wild bunch).


LA HORDE SAUVAGE

En 1969 ‘La horde sauvage’ brûle d'une rage et d'une haine pratiquement inconcevables pour les spectateurs qui assistent à la projection. Les attitudes intransigeantes des protagonistes sont si présentes qu’il n’existe pas de 'Good Guys' (bons gars) en tant que tels, mais seulement des êtres mauvais à des degrés divers.

Avec Sam Peckinpah, Jerry Fielding ne se sent pas entravé par l’histoire, bien au contraire, il se sent libre et laisse échapper tout son talent de compositeur et d’orchestrateur. Dès l’ouverture, la musique qui suggère un rythme militaire s’enrichit de progressions harmoniques qui « désorientent » les trompettes de l’orchestre, comme si elles étaient désaxées, déséquilibrées, décalées par rapport au temps et à l'espace. Le compositeur considérera ce score comme une première mise à l’épreuve.

Ce bain de sang - qui se poursuit durant tout le long métrage - a transformé le film ‘La horde sauvage’ en film mythique. Cette histoire racontée par des artistes désireux d'exorciser des démons personnels a surtout permis à Jerry Fielding d’annoncer publiquement qu’il existait désormais un nouveau et authentique compositeur dans le cinéma (1)

'La Horde Sauvage' (© www.dvdclassik.com)

1 - Le film ‘La horde sauvage’ a été récompensé de deux nominations, mais n’obtiendra aucune victoire. Jerry Fielding fût l'un des nominés, comme il le sera encore avec ‘Les chiens de paille’ (Straw Dogs - 1971) et ‘Josey Wales hors-la-loi’ (The Outlaws Josey Wales -1976).


JERRY FIELDING ET MICHAEL WINNER

Outre Sam Peckinpah, une autre collaboration fructueuse va naître, avec Michael Winner. La première réalisation sonore intervient avec le film ‘L’homme de la loi’ (Lawman – 1971), un western avec Burt Lancaster et Robert Ryan.

Michael Winner est un metteur en scène plutôt sensible au drame social et aux comédies de mœurs qu'au western. Pourtant, comme le montreront les films suivants, le réalisateur arrivera toujours à décrire sans effort le milieu américain, décriptant à la façon d'un éminent chroniqueur urbain les différentes formes de violence passée ou présente.

Jerry Fielding et Michael Winner ont collaboré à travers six films : ‘L’homme de la loi’ (Lawman – 1971), ‘Les collines de la terreur’ (Chato’s Land -1971), ‘Le corrupteur’ (The Nightcomers – 1971), ‘Le flingeur’ (The Mechanic – 1972), ‘Scorpio’ (1973) et ‘Le grand sommeil’ (The Big Sleep – 1978).

Dans le film ‘Le flingeur’, Jerry Fielding échafaude à la demande du réalisateur une musique sombre, sinistre, atonale tout en y insérant ingénieusement la ‘Grande Fugue’ de Beethoven. Ce détour par la case 'musique classique' s'installe au cœur de quelques dialogues intimistes, créant ainsi un contraste saisissant avec la musique dissonante écrite par le compositeur lors des scènes d’action. Pour 'Scorpio', qui réunit Burt Lancaster et Alain Delon, le score composé doit être à la hauteur du choc frontal qui réunit les deux stars du grand écran. La musique prend une fois de plus son envol lors des scènes d'action, notamment lors de la longue scène qui voit Delon poursuivre son vieil ami Lancaster avec l'intention de le supprimer.


JERRY FIELDING : SCORPIO (montage)
Trois thèmes de la BO. Une musique très architecturée aux arrangements forts subtils et complexes où les perçussions tiennent une grande place. Orchestration d’une grande richesse et nourrie de multiples influences autant classiques que venant d’Europe de l’Est ou de jazz, comme le démontre le dernier thème joué au piano façon ‘piano bar’.

LA FIN DE L’HISTOIRE

En plein élan de créativité, Jerry Fielding décède à l’âge de 58 ans, le 17 février 1980, victime d'une crise cardiaque soudaine dans sa chambre d'hôtel à Toronto (Canada). Sa dernière musique sera pour le film 'L’Évadé d’Alcatraz' (Escape from Alcatraz - 1979) de Don Siegel, film dans lequel figurait une fois de plus Clint Eastwood. Face à sa disparition prématurée et soudaine, il serait tentant, mais certainement déplacé, de spéculer sur les films dans lesquels Jerry Fielding aurait travaillé dans les années 80 s’il avait survécu. Nul doute qu’il aurait apporté d’autres musiques précieuses et d'autres orientations.

Sa seule ombre à son « tableau de chasse », sera sa partition pour le film Guet-Apens (The Gateway -1972) de Sam Peckinpah qui se verra refusée et remplacée par celle de Quincy Jones sur l'insistance de la star du film, Steve McQueen, après la projection en avant-première à Los Angeles. Cependant, on relèvera que la majorité des personnes qui ont eu la chance d'entendre la musique de Fielding avant la sortie officielle du film déploreront ce changement de dernière minute, estimant que le compositeur avait écrit pour Peckinpah l’une de ses meilleures musiques.

Par Elian Jougla (Cadence Info - 09/2018)
Source : Nick Redman – Jerry Fielding film music


SCORES TV JERRY FIELDING

  • 1967 : The Crazy World of Laurel & Hardy (documentaire)
  • 1970 : Hunters are for Killing (téléfilm)
  • 1971 : Ellery Queen : Don’t Look Behind You (téléfilm)
  • 1971 : Once Upon a Dead Man (téléfilm)
  • 1972 : A War of Children (téléfilm)
  • 1972 : Man in the Middle d'Herbert Kenwith (téléfilm)
  • 1973 : Shirts/Skins (téléfilm)
  • 1974 : Unwed Father (téléfilm)
  • 1974 : Honky Tonk de Don Taylor (téléfilm)
  • 1975 : Hustling (téléfilm)
  • 1975 : Matt Helm (téléfilm)
  • 1975 : One of Our Own (téléfilm)
  • 1977 : Little Ladies of the Night (téléfilm)
  • 1978 : Lovey ; A Circle of Children, Part II (téléfilm)
  • 1979 : Me Horn (téléfilm)
  • 1979 : High Midnight (téléfilm)

JERRY FIELDING : ROOFTOP CHASE
du film THE ENFORCER (L’INSPECTEUR NE RENONCE JAMAIS)

La musique, à la couleur funky/jazz, est relevée par une orchestration big band qui peut faire songer à du Michel Legrand. Tout ça sonne très années 70, mais qui s’en plaindrait !

FILMOGRAPHIE JERRY FIELDING

  • 1962 : Tempête à Washington (Advise and Consent) d’Otto Preminger
  • 1962 : The Nun and The Sergeant de Franklin Adreon
  • 1964 : For Those who Think Young de Leslie H. Martinson
  • 1964 : La flotte se mouille (McHales Navy) de Edwioard Montagne
  • 1969 : La horde sauvage (The Wild Bunch) de Sam Peckinpah
  • 1970 : Trois réservistes en Java (Suppose The Gave a War and Nobody Came ?) de Hy Averback
  • 1971 : L'homme de la loi (Lawman) de Michael Winner
  • 1971 : Les collines de la terreur (Chato's land) de Michael Winner
  • 1971 : Le corrupteur (The Nightcomers) de Michael Winner
  • 1971 : Johnny s'en va-t-en guerre (Johnny got his gun) de Dalton Trumbo
  • 1971 : Les chiens de paille (Straw Dogs) de Sam Peckinpah
  • 1972 : Junior Bonner, le dernier bagarreur de Sam Peckinpah
  • 1972 : Le flingueur (The Mechanic) de Michael Winner
  • 1973 : Scorpio de Michael Winner
  • 1973 : Le sherif ne pardonne pas (The Deadly Trackers) de Berry Shear et Samuel Fuller
  • 1974 : Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia (Bring Me the Head of Alfredo Garcia) de Sam Peckinpah
  • 1974 : Le flambeur (The Gambler) de Karel Reisz
  • 1974 : Échec à l’organisation (The Outfit) de John Flynn
  • 1974 : The Super Cops de Gordon Parks
  • 1975 : Tueur d'élite (The Killer elite) de Sam Peckinpah
  • 1976 : Josey Wales hors-la-loi (The Outlaw Josey Wales) de Clint Eastwood
  • 1976 : L'inspecteur ne renonce jamais (The Enforcer) de James Fargo
  • 1976 : La chouette équipe (The Bad News Bears) de Michael Ritchie
  • 1977 : L’épreuve de force (The Gauntlet) de Clint Eastwood
  • 1977 : Génération Proteus (Demon Seed) de Donald Cammell
  • 1978 : Les faux-durs (Semi-tough) de Michael Ritchie
  • 1978 : Sauvez le Neptune (Grady Lady Down) de David Greene
  • 1978 : Le grand sommeil (The Big sleep) de Michael Winner
  • 1978 : L'épreuve de force (The Gauntlet) de Clint Eastwood
  • 1979 : L'évadé d'Alcatraz (Escape from Alcatraz) de Don Siegel
  • 1979 : Le dernier secret du Poseidon (Beyond the Poseidon adventure) d'Irwin Allen
  • 1980 : Below The Belt de Rob Fowler

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