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MUSIQUE & SOCIÉTÉ

L'ARTISTE ET SON RAPPORT À L'INTERNET, UNE HISTOIRE À ÉPISODES

De nos jours, les musiciens et chanteurs ne peuvent plus ignorer l'influence du Web sur leur carrière. Pour celui ou celle qui cherche à se démarquer, sa compétence instrumentale et son potentiel créatif ne suffisent plus. À tort ou à raison, justifié ou pas, le Web finit invariablement par imposer sa loi, ce qui, par ailleurs, entraîne d'épineuses questions éthiques et quelques conflits d'intérêts, comme la protection des droits d'auteur.


LE DÉFI SOULEVÉ PAR LE WEB

Habituellement, les « artistes branchés » sont à l'écoute de l'évolution des technologies proposées par Internet. En phase d'approche, la découverte, puis l'acceptation du fonctionnement des différents outils de communication (site, clip vidéo, réseau social...) sont là pour jouer un rôle précis et complémentaire dans leur ascension médiatique. Plus précisément, ils révèlent que l'ensemble des valeurs portant sur la reconnaissance artistique, telles que jouer correctement d'un instrument et s'enregistrer, doivent à présent s'accompagner d'une promotion ciblée sur le Web, avec ses codes et ses exigences.

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La majorité des utilisateurs d'Internet, mais aussi les médias comme aujourd'hui les politiques, estiment que le Net a ouvert réellement ses portes à toutes et à tous quand les premiers réseaux sociaux sont apparus vers 2005. Auparavant, la Toile fonctionnait sur d'autres bases. Principalement réservée à des informaticiens et à des programmeurs qui n'avaient aucunement fait leurs « classes », les artistes regardaient Internet avec suffisamment de distance pour ne pas avoir à s'impliquer concrètement. Les sites artistiques et personnels étaient donc peu nombreux.

© David Pupaza (unsplash.com – À cause d'Internet, l'artiste est dans l'obligation de se positionner artistiquement.

Alimenté en grande partie par l'économie collaborative, l'essor constant de la Toile devait entraîner un nombre croissant d'internautes attirés notamment par les jeux en ligne, les forums et la possibilité d'écouter de la musique gratuitement. Le Net devenait un instrument virtuel incontournable. Bousculant les règles établies, partager et publier devenaient le mot d'ordre, que ce soit en ligne grâce aux messageries, en mode « peer-to-peer », puis de portable à portable via Bluetooth ou par tout autre moyen technologique comparable.

Contraignant les artistes à prendre leur responsabilité, l'acceptation de ces nouveaux moyens de communication s'ajoutait à un « cahier des charges » déjà pesant. Néanmoins, avec un brin d'optimisme, les musiciens(nes) et les chanteurs(es) imaginaient dans les premiers temps voir cet « inconnu » provoquer la disparition des frontières et faciliter les échanges musicaux avec d'autres créateurs. Cette superbe idée, à la vision réconfortante, a certes existé durant quelques années, jusqu'à l'apparition des premières plateformes vidéos, promptement suivie par les réseaux sociaux et le « smartphone », l'outil addictif du « réseauteur ».


LE JUGEMENT DE L'ARTISTE

Présentement, l'avenir semble réellement tracé et l'image du Web se renforce jour après jour. Dès lors, l'artiste qui cherche une certaine « respectabilité » et un « écho favorable » est contraint de retrousser ses manches, tout en renforçant sa vigilance vis-à-vis des réseaux sociaux animés, à l'occasion, par quelques censeurs indélicats.

Malgré un manque de transparence évident, injuste ou injustifié, Facebook, Twitter et YouTube, les premiers, ont alors commencé à distribuer les « bons points ». Même si la popularité d'un artiste ne repose pas uniquement sur des « notations », celles-ci sont soudainement apparues comme étant l'écho d'un résultat probant, d'un « sondage » pour lequel les journalistes, notamment, portent un certain crédit. Bien évidemment, pour les artistes, la recette qui permet d'arriver à des millions de clics ou à des milliers de « likes » est une indication qui reflète tout d'abord une manière de séduire qui ne contraint à rien d'autre. On n'achète pas. On ne se déplace pas !

Restent la qualité, l'originalité et la créativité du « produit » dont l'amplitude dépend de plusieurs facteurs : l'âge de l'internaute, le style (classique, électro, jazz, rap, rock...) et la compétence de chacun et de chacune, par sa culture et par ses goûts, à accepter un musicien parfois dès les premières secondes ou, au contraire à l'écarter tout aussi promptement. Toutefois, incriminer la fragilité des avis, nous fait vite oublier le rôle joué par les réseaux sociaux au moment du confinement durant la COVID, quand sur Facebook, Tik Tok et YouTube, de nombreux artistes, pour se maintenir à flot, proposaient ponctuellement des vidéos et des commentaires concernant leur futur projet ou leur état d'âme.


LA CONQUÊTE DES RÉSEAUX SOCIAUX

Si un slogan publicitaire existait pour le Web, il pourrait être celui-ci : « Bienvenue dans le monde du podcasting, de la webradio, des droits numériques, du peer-to-peer et des plateformes vidéos. Partager gratuitement et donner votre avis ! » Fin du clap et fin d'un monde artistique. Vous êtes certain ? Entre alternative souhaitée et protection réclamée, la réponse du monde artistique ne devait pas tarder.

© Sara Kurfe (unsplash.com).

Au début des années 2000, posséder un « site personnel » était couru chez de nombreux artistes, car ils pouvaient prétendre y faire figurer aussi bien des photos, des musiques, des vidéos, évoquer les amis ou diffuser les dates de leur concert. C'était aussi un moyen entièrement indépendant. Mais en 2003, Myspace est arrivé...

Le « réseautage social », axé musique, était quelque chose de nouveau. Il mettait gratuitement à disposition de ses membres un espace web personnalisé avec la possibilité d'y adjoindre un blog. Cet engouement soudain pour Myspace, sans compter l'omniprésence de YouTube, devait agiter la conscience des artistes jusqu'à remettre en question la pérennité des sites personnels.

Un an après naissait Facebook avec ses pages collaboratives. L'usage de la plateforme fondée par Mark Zuckerberg étant (en apparence) plus simple à animer qu'un site personnel, puisque la maintenance technique par le contributeur est absente, il n'échappera à personne que son axe principal repose intentionnellement sur l'attente de partages et de « likes ».

Plus paradoxale est la façon de conditionner le niveau de popularité sur "X" (Twitter), voire sur Instagram. Tout ici repose sur la réactivité des abonnés. Leur nombre, surtout avec "X", est étroitement lié aux abonnements suivis par le détenteur du compte. Cependant, « suivre », c'est vite dit ! Dans l'univers du Web, tout évolue très vite, comme les goûts et les couleurs.

Adhérer à des dizaines et des dizaines de personnes ou de sites relève généralement d'un comportement suggéré par une recherche de notoriété et de réputation dans la majorité des cas. Or, comme le partage de tweets se produit en toute opacité et en étant géré par des algorithmes parfaitement étudiés, pour être au plus juste de la réalité, mieux vaut considérer le taux du « ratio » (le rapport entre les deux variables : abonnés et abonnements) et pas nécessairement le nombre d'abonnés obtenus.

En fait, le ratio doit être le plus élevé possible. Du point de vue comptable, il est préférable pour un artiste, aussi surprenant que cela puisse paraître, d'avoir 150 abonnés pour 10 abonnements que 500 abonnés pour 400 abonnements. Dans le premier cas, cela prouve en particulier que la découverte de l'artiste (ou sa notoriété) par les internautes possède un réel potentiel, surtout si les posts successifs sont confirmés par de nombreux « cœurs ».


MISE EN LIGNE ET PLAGIAT

Dans la pratique, la gestion d'un réseau social ou d'une chaîne vidéo repose fréquemment sur les épaules de l'artiste, encore que rien ne l'oblige à intégrer une communauté ou un service en ligne, même s'ils fournissent tous les outils nécessaires, et même s'ils peuvent amener de la fréquentation et procurer un cadre de travail purement commercial. La plupart du temps, pour diverses raisons louables, de plus en plus de chanteur(ses) et musicien(nes) se déchargent de la promotion sur Internet en la confiant à des tiers.

Ensuite, quand un artiste met à la disposition des autres une partie de sa production en ligne, il la confie avec le risque que son œuvre subisse du plagiat ou des détournements de son copyright. Cet objectif de partage doit nécessairement mettre en place des limites et suggérer une protection impliquant une contrepartie financière, sous forme de droits ou/et de paiements. Des initiatives ont ainsi vu le jour au tournant des années 2010, quand le peer-to-peer était devenu un outil trop « gourmand » et avait conduit à adopter la loi Hadopi en France pour contrer le piratage.

© Souvik Banerjee (unsplash.com).

Même si le modèle d'échange en réseau continue d'exister, très certainement il aura été le premier mal considérable vis-à-vis de la protection des artistes. Le géant Google l'avait aisément compris quand il acheta, dès 2006, les droits de diffusion et de contrôle des clips vidéo de YouTube. La société américaine avait réussi, de façon habile, à imposer à toutes et à tous une politique de la distribution de la musique par l'image, tout en condamnant les chaînes télévisées qui en faisaient leur principal « gagne-pain ». Une simplicité d'accès, des informations, mais pas trop, et des options réduites au strict minimum ont facilité YouTube dans son ascension de leader dans le domaine de la vidéo, devançant sans effort ses concurrents directs que sont Dailymotion et Vimeo.


LA MISE EN CAUSE DU STREAMING

Banalisé à l'extrême, le streaming repose sur la diffusion en continu d'un flux audio ou vidéo et constitue pour les artistes un autre défi à relever. Pourquoi ? Quand il est gratuit, le streaming possède un intérêt limité pour le musicien. Il peut même être sans aucune valeur au point de ne refléter que partiellement la popularité d'une musique ou d'une chanson. Bien des raisons poussent en effet un internaute à visionner une vidéo : la curiosité bien sûr, mais aussi la comparaison entre différentes versions d'une même musique ou tout simplement pour voir l'aiguille de l'horloge avancer. Une fois de plus, avec Internet, le « flou » reprend le dessus.

D'une certaine manière, l'usage du streaming a conduit à appauvrir la qualité artistique dans le sens où il a laissé la porte ouverte à toutes sortes d'initiatives sans aucun garde-fou. Présentement, la « valeur commerciale » d'un artiste ne repose pratiquement plus sur des intermédiaires, comme autrefois. Le jugement de valeur est venu se positionner sur le Net comme un outsider clairement décidé à prendre la tête. En outre, grâce au progrès technologique accompli ces dernières années dans la sphère des instruments de musique, l'auto-production a effectué un bond spectaculaire, notamment dans les domaines de l'électro et des musiques urbaines, apportant la preuve que tout devient possible dès que l'Intelligence artificielle s'en mêle.


QUOI D'AUTRE ?

Internet serait-il devenu un miroir aux alouettes pour les musiciens(nes) et les chanteur(ses) ? Celles et ceux qui se lancent et qui ont grandi avec le Web concèdent souvent que quand le succès survient, ils ne peuvent réellement l'expliquer. La valeur artistique d'un futur talent est devenue aussi capricieuse et inconsistante que la météo, si bien que face à la joie soudaine d'une réussite plane parfois l'ombre de l'échec tant redouté. C'est comme si Internet avait mis en place un « théorème » qui consiste à démontrer que la carrière artistique n'est plus conditionnée seulement à de l'expérience, mais à des performances surprenantes dans lesquelles la singularité doit primer : jouer avec son instrument dans les hauteurs enneigées, se produire sur une île déserte, tel un Robinson Crusoé ou en étant suspendu à une grue avec son piano ! Faute de faire autrement, l'artiste persiste et signe, tout en ayant pris conscience que de nos jours la dématérialisation, sans compter l'intelligence artificielle, ne peuvent que le poursuivre.

Tous ces comportements, provoqués par l'explosion du monde numérique et virtuel, poussent fort heureusement les artistes à conduire leur effort en ne négligeant pas une autre forme de communication : la scène, la seule rescapée, l'unique témoin palpable des projets menés à terme, capable de faire briller les yeux du public. La survivance du monde musical s'accroche à cette riche denrée pour laquelle quelques mécènes fortunés croient sans cesse quand, déjà, derrière les rideaux, s'annonce un autre spectacle plus redoutable avec ses avatars et son espace virtuel en 3D.

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Par Elian Jougla (Cadence Info - 08/2024)

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